Il faut que je fasse attention à ça : ne pas devenir dépendant à l’amour que je te porte. Je dois dire que ce que je m’offre à travers toi, c’est presque une première fois : mon « je t’aime » ne s’adresse pas qu’à un fantasme, pas qu’à un autre – séparé. Il s’adresse aussi à ce que tu révèles de moi, à ce qui reluit tout au fond et que tu m’aides à voir – à Dieu, en fait. On ne peut vivre autrement qu’à travers une forme de dépendance absolue à Dieu, quel que soit le visage qu’il vienne prendre dans nos vies : un verre de Brandy, le chant des ruisseaux, le mouvement, l’ennui, quelques vers de trop, un peu de poésie.
Tout vient, je crois, répondre à ce besoin qui vit en nous.
Aujourd’hui, c’est toi qui viens faire miroiter mes lueurs, qui leur donne de la couleur. Demain, ce sera peut-être autre chose – un bouquet de fleurs dans la salle à manger, le sourire du facteur, la terre rouge vif et sa caresse sous mon pied. Ce qu’il faut, en fait, c’est ça : ne pas s’accrocher à une unique image du Divin pour chasser le doute, ne pas mettre en cage ce qui éclaire pauvrement nos vides minuscules.
Je suis face à la mer et, bercé par le chant des vagues, je m’aperçois de ça : que je n’ai jamais trop su comment laisser aller. Mon réflexe premier, c’est de m’accrocher, ne pas lâcher la barre, ne pas laisser partir. Je suis à l’opposé de ce à quoi j’aspire.
En fait, je crois que j’ai juste peur. Juste ça. Comme quand j’avais failli mourir noyé à l’âge de six ans : vite, plus vite, s’agripper, trouver quelque chose de solide et de stable auquel s’accrocher, se rattacher, pas le sable non ! – tout est friable et je me vois déjà mourir. C’est comme si depuis ce jour-là, je vivais en apnée – et vite, on panique, on trouve de l’oxygène et on prend une grande bouffée d’air frais. Aujourd’hui encore, cet oxygène-là, je le trouve au-dehors : ce matin c’est toi, demain ça sera ça, et après, quoi ?!
La panique ressentie ce jour-là, elle m’accompagne depuis lors dans mon rapport au monde. Ma dépendance à Dieu, elle vient un peu de là, je crois. Un besoin de se rassurer, de « ritualiser l’optimisme », de se savoir relié à la vie par une attache solide, quitte à se sentir parfois pieds et voix liés. Mais cette stabilité, cette sécurité-là, il n’y a qu’au-dedans que je peux pleinement en faire l’expérience. Cet oxygène et cette lumière dont j’ai besoin pour vivre, c’est en moi que je les trouverai.
Alors seulement je serai libre, ne serai plus dépendant.
Alors seulement je pourrai aimer vraiment.