Hier, une interview d’Alain Damasio. Entre autres, il y est question de pouvoir et de puissance – de ce que la technologie permet ou inhibe. Qu’elle donne du pouvoir – celui de faire faire à la machine, d’agir par l’outil – mais qu’elle nous prive de puissance – agir par nous-mêmes, avec ce corps, cette existence, cette vie. La machine nous appauvrit.
Il y a quelques jours, je me sentais arriver au bout du tri que j’opère dans ma vie. Plus aucune envie de classer, de ranger méticuleusement cette infinité de données. Une seule envie : arriver au bout, savoir que ça y est, que c’est fait. Me sentir en paix avec le passé pour avancer. Certains tris durent des années.
Hier aussi, une coupure d’internet. À partir de 16h, plus de connexion stable. Ça me met face à mon vide. Je réalise comme je suis dépendant, encore une fois – au divertissement, à la connectivité. Et comme je suis mal à l’aise avec l’incertitude et le doute. Envie de tout contrôler, que rien ne m’échappe tout à fait. Ça me rappelle les cours que j’avais de Magie & Religion, et ces mots dans la bouche de Marie R : « ritualiser l’optimisme ». Se divertir ou programmer ses journées, c’est chasser le doute pour ne pas voir la mort – et ce vide au-dedans. L’un des moyens, pour l’homme moderne, de ritualiser l’optimisme.
Ce à quoi je me sens dépendant, en fait, c’est ça : le pouvoir. Le pouvoir, c’est un contrôle du hors-soi. La puissance, c’est devenir maître de soi, de ce que l’on est vraiment. C’est donner les rênes à ce qui brille plus au fond puis lâcher prise, se laisser guider.
Aujourd’hui, mon ordinateur me lâche. Le compagnon de mes journées, la bague au doigt, la laisse au cou. Je ne sais plus vivre sans écran. Un écran, c’est une barrière entre soi et soi, un voile qui nous sépare de nous-mêmes, qui s’immisce jusque dans nos rapports intimes et qui nous délivre de nous, de nos néants. Une petite mort confortable.
Là, soudainement, je fais face à cette absence : plus d’écran pour me garder de la vie. Le vide se démaquille, se déshabille – et l’amour béant. Il ne reste plus que ça : moi et moi, je et je, et l’infinité qui nous sépare.
L’occasion de donner du sens. Tout vient à point à qui sait entendre ; alors on écoute le murmure de la vie, son écho délicat. La marche reprend-elle ? Quel sentir emprunter ? Seul, accompagné ?
Quelques questions posées à l’Ouvert
et l’oreille tendue toujours
pour pêcher à la ligne les nuages.