Observant, je me questionnais : comment cet objet pouvait-il demeurer là, impassible aux réalités de notre monde ? Comment pouvait-il ne point se briser à la vue de notre effroyable malheur ? Comment pouvait-il, si fidèlement, reproduire les évènements tragiques se présentant à lui ? Depuis toujours, ces énigmes m’obsédaient. Je ne parvenais pas à comprendre pourquoi un si banal objet avait, à mes yeux, une telle importance… Je l’admirais quelque peu, sûrement. Mais sa vision me torturait l’esprit. Je me sentais observé. A chaque fois que je le regardais, il me renvoyait à moi-même, aux formes de mon corps, à la couleur de mes yeux, et je passais des heures à contempler, à travers cette surface pourtant sans relief, la profondeur du regard de celui qui me surveillait sans cesse. Qui était-ce ? Moi ? Une pâle copie de ma personne ? Un autre être qui pourtant me ressemblait tant ?
Une première goutte d’eau vint briser le silence glacial qui s’était imposé chez moi. Je n’avais plus de parents. Ni d’amis. J’étais seul. Certes, des membres de ma famille éloignée venaient me voir, de temps à autres… Mais c’était égal, je n’en voulais pas. Tant que cette copie de moi-même m’accompagnerait, j’irais bien. Seulement, était-ce vraiment de l’amitié ? Encore une fois, j’avais peur. Peur des gens, mais aussi de la solitude. Pourquoi existais-je ? Peut-être que si je n’avais pas eu ce miroir, je ne me le demanderais pas. Peut-être m’ouvrirais-je au monde extérieur, vivant pleinement… Peut-être… Quoi qu’il en soit, la représentation de l’univers qu’il donnait était-elle vraie ? Autrefois, les Hommes n’en avaient pas. Certes, ils étaient moins élégants ; mais n’étaient-ils point plus heureux ? Cet objet démoniaque n’existant pas, n’avaient-ils guère d’autre choix que de s’aimer, ne se connaissant eux-mêmes pas assez pour ressentir de quelconques sentiments négatifs envers leurs personnes ?
Aujourd’hui, notre race est en déclin : trop centrée sur elle-même, elle ne prête attention à la beauté qui l’entoure, et se moque de son prochain. Je suis seul. Seul, chez moi. Si les gens étaient intéressés par autrui, ne viendraient-ils pas me tenir compagnie ? Tous ces miroirs, seraient-ils la création du malin ? Lorsque nous y plongeons nos regards, ne sont-ce dans les reflets du Styx que nous nous voyons ? A quoi servent-ils, sinon nous enfermer dans les méandres diaboliques de notre Ego ? Ne demeurent-ils là que pour tous nous amener à une inévitable perdition ? Que penser ? Le monde serait-il meilleur sans ces malheureux objets ? Et moi, que dois-je faire ? Devrais-je chercher de la compagnie ? Ou continuer à me complaire dans cette fausse vision de moi-même ? Lorsque je me contemple dans la glace, je me mets à haïr celui que je suis, mais c’est cette haine qui m’anime. Devrais-je accepter de m’éteindre pour ne plus souffrir ? Ce nez, ces yeux, cette bouche, m’appartiennent-ils ? Tantôt, je les reconnais, et tantôt j’y vois le Malin. Tantôt, j’y vois le Bien, et tantôt, j’y vois le Mal. Comment un reflet peut-il être si trompeur, s’il n’est pas manipulé par des forces qui nous dépassent ? Pourquoi n’y voit-on jamais le bonheur, hormis quelques éphémères contentements que nous livre notre orgueil, s’il tend vraiment à représenter la réalité ? Notre monde est-il si triste ? Ou l’image qu’il nous envoie est-elle ternie ?
Un miroir n’est rien de plus qu’un objet ayant pour but de nous cacher la vérité, nous enfermant dans des illusions mensongères, nous amenant à ne penser qu’à nous-mêmes, nous complaisant dans notre suffisance ou nous noyant dans notre tristesse. Qu’en est-il de la véritable essence de la vie ? De la beauté qui nous entoure ? Du tendre sourire de notre prochain ? Disparus. Cachés, sans doute. Quoi qu’il en soit, à toi, ô mon double mensonger, ma terne copie, je te dis adieu : je vais Vivre, à présent !
Pour ceux que cela intéresserait, mon sujet d’écriture d’invention était le suivant :
« À la manière d’Emile Zola, vous dresserez le portait fantastique d’un objet ou d’un lieu en vous basant, tout au long de votre texte, sur une métaphore filée afin de faire ressentir une certaine émotion à votre lecteur. »