J’ai eu tout ce dont pourrait rêver un homme : un parcours unique, des parents aimants et une enfance heureuse. Je ne me suis jamais senti dans le besoin, matériellement ; et rêveur déjà à l’heure de mes balbutiements, on m’a souvent laissé voguer sur les flots de mon imaginaire.
Bien sûr, tout n’a pas été parfait : j’ai eu des accidents et j’ai vu la mort de près, mes parents ont divorcé et j’ai quitté le berceau trop tôt. Mais j’ai le sentiment d’avoir été gâté par la vie, toujours. Aussi, lorsque je me surprends à contempler le feu s’éteindre, là, lentement, il y au fond de mon cœur cette culpabilité qui gronde. Pourquoi ne pas accepter d’aller bien, et ouvrir mon regard sur la lumière des choses ?
Je ne sais pas.
Je dis que je ne sais pas, mais c’est odieux mensonge.
Au-delà du sourire parental, des abondances terrestres et des jours heureux, il y a quelque chose de plus grand, de plus intense et de plus diffus ; un cri qu’il est impossible de taire ou de terrer, qui se réverbère dans chacun de mes silences. Une certitude inavouée : j’ai perdu l’amour de Dieu.
Et peut-être cet amour n’est-il pas tout à fait perdu. Peut-être est-il en panne temporaire, que le Grand Mécanicien viendra réparer entre deux carrosseries brisées. Peut-être Dieu s’est-il couché de bonne heure après avoir tant fait et tant offert ; peut-être est-il simplement sur d’autres affaires.
Peu m’importe : quand Tu joues les couche-tôt et les lève-tard, je Te perds.
Tu me manques et rien n’y fait.
Ce que je ressens alors, ce n’est plus l’âpreté fluette des ruptures humaines, plus le larmoiement léger des brisures matérielles.
C’est, dans un chagrin constant, une soudaine nostalgie de tout.
À mon père, à Notre Père,
et à la feuille dansant
dans le creux de nos mains.
Aujourd’hui, les choses ont changé et le vide s’est empli – même s’il reste parfois un peu de néant.