Je me dis parfois que j’aimerais te ressembler. Il faut dire que tu portes en toi un parfum jamais senti, un pas léger, un timbre si particulier qu’il a su me toucher à la vie. Pourtant, ce que tu as de si spécial, c’est juste ça : ton unicité.
Je me suis dit aussi, souvent, que j’avais encore du chemin à parcourir pour t’égaler. Et j’étais déjà prêt à partir en sprintant : comme si, en courant plus vite, j’allais combler le fossé.
Cette vision du monde et de moi, elle vient encore une fois d’un rejet – d’un trop peu, d’un pas assez. En fait, la vérité est infiniment plus simple : il n’y a pas de ligne de départ, pas de ligne d’arrivée. Ou plutôt : les deux sont superposées. On s’y tient ensemble, sans pourtant y apercevoir la même chose. Toi, tu y vois un paysage vibrant, complet : c’est une belle vue d’ensemble, tu apprécies ce tableau coloré. Moi, mon regard se perd et s’attache à quelques détails : ici, il y a trop de vert, là pas assez de bleu – il faudrait en rajouter.
Cette conscience, cette connexion et cet abandon au tout que je vois chez toi font aussi partie de mon existence, de mon expérience. Je les connais. Nos danses improvisées recèlent quelques différences, mais nous nous laissons porter sur la même scène, sur la même terre, nous respirons le même air et la même lumière. Dans l’essence, nous sommes faits de la même matière.
Il y a juste ça : mon attention, je la porte trop souvent sur ce qui crie et ce qui hurle. Toi, tu as appris à écouter vraiment : le chant des murmures et des bruissements, la vie dans son état pur, le soupir des ruisseaux, des roseaux et des enchantements. Ce qui berce l’ordinaire entre deux cacophonies.
Écoute, tends l’oreille, celle de ton cœur : comme le dit si bien Bobin, « les heures silencieuses sont celles qui chantent le plus clair ».
La phrase qui vient clore ce poème est citée de Christian Bobin.
Ses livres sont un délice et j’en recommande la lecture à tous ceux qui veulent profiter d’un peu de lenteur, un peu de silence…